« On a de belles réussites mais on n’en parle pas assez »
Comment vous êtes-vous retrouvée embarquée dans cette aventure d’écriture ?
C’est notre IA-IPR (Inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique régional) de SVT qui nous a contactées, ma collègue Sylvie Da Rocha et moi, parce qu’elle savait que nous sommes face à des élèves qui ne sont pas toujours faciles mais que nous sommes aussi extrêmement heureuses de travailler dans cet établissement. On ne cache pas qu’on rencontre des difficultés, tout n’est pas rose au quotidien. Mais quand Benoit Falaize nous a proposé d’écrire ce livre, nous étions très enthousiastes, parce que nous commençons franchement à en avoir assez d’entendre des choses négatives sur notre collège. C’est un collège merveilleux ! J’y ai scolarisé ma fille et je me suis fait traiter de folle par les habitants de mon village... Je n’arrive pas à comprendre. C’est vrai qu’il y a eu des problèmes dans cet établissement, mais c’était il y a 30 ans ! Aujourd’hui, le collège est performant, les enseignants qui y travaillent sont enthousiastes, ils prennent les élèves comme ils sont, et réalisent avec eux de nombreux projets.
Ça nous a fait beaucoup de bien de décrire ce qu’on vit et de voir qu’on n’était pas les seules à vivre une belle réalité dans des établissements de l’éducation prioritaire. Les enseignants dans ces zones ont besoin de ça en fait : que dans l’opinion publique ont n’ait plus une image aussi négative de leurs élèves et de leur travail d’enseignant. Ça tue le moral.
On a de belles réussites mais on n’en parle pas assez, et c’est effacé au premier incident, dont on parle alors pendant des semaines. Pour l’opinion publique, c’est impossible d’y enseigner, tout le monde est persuadé que le niveau est mauvais. Alors qu’on ne baisse pas nos exigences : si on les baisse, c’est là qu’on risque de perdre nos élèves ! Mais grâce à une pédagogie différenciée on va descendre aussi bas que certains élèves se trouvent pour les remonter tout en faisant encore progresser les élèves brillants. Et les élèves le voient très bien. Ce n’est pas de l’éducation au rabais : c’est la première des idées reçues qu’on doit combattre.
Sur quoi porte votre contribution au livre ?
Nous avons écrit à deux voix, parce qu’on vit la même réalité et qu’on travaille énormément ensemble. Nous avons mis en commun toutes nos expériences de classe et nos réflexions communes.
Nous avons parlé en particulier de l’enseignement des sciences et de la distinction entre science et croyance. Il faut éviter de tomber dans le raccourci qui oppose les croyances aux contenus scientifiques. Sans entrer dans la sphère privée de l’élève, nous leur apprenons à faire la différence entre une croyance et un savoir scientifique qui se construit et évolue dans le temps. Croyance et savoir ne sont pas des réalités qui s’opposent mais qui coexistent : ce n’est pas parce qu’on est un scientifique qu’on ne peut pas être croyant, et réciproquement. Ils acceptent ensuite très bien le savoir scientifique, tout en gardant leurs croyances.
Au début, pour moi, sciences et croyances s’opposaient totalement, car jamais cette distinction ne m’avait été enseignée dans mes études scientifiques. À y réfléchir de plus près, j’ai remarqué que l’enfant est toujours frustré si on l’empêche d’exprimer les questions qu’il se pose sur les contradictions entre ce qu’on lui dit dans sa famille et à l’école. Il faut le laisser s’exprimer, pour lui permettre de se construire ses propres idées, lui expliquer.
Lors de ma première année d’enseignement dans ce collège, un de mes élèves s’était bouché les oreilles, il a cru que mon cours sur l’évolution allait détruire sa croyance en dieu. Maintenant, puisque je laisse l’élève s’exprimer tout en lui expliquant d’abord ce qu’est un savoir scientifique, ce chapitre se déroule comme n’importe quel cours de sciences. Ça ne pose pas de problème ni ne crée de malaise que le mot « dieu » arrive dans la classe. Une fois que c’est fait, les élèves voient que leurs croyances sont respectées et ils travaillent en véritables scientifiques, on peut se concentrer sur le cours. Les élèves se sentent respectés, entendus, ils sont dans un lieu où on a le droit au débat.
Nous les formons d’ailleurs beaucoup au débat dans le collège. Nous leur apprenons à s’écouter les uns les autres : on peut émettre des idées, discuter, se respecter et rester calme. Ça les aide à devenir des futurs citoyens et ils se rendent compte de la chance qu’ils ont de vivre dans un pays démocratique.
Mais beaucoup d’enseignants ne savent pas comment aborder le sujet, notamment par manque de formation sur la distinction entre une croyance et un savoir scientifique. Le travail en équipe dans l’établissement est très important, on se sert les coudes et on se forme mutuellement.
Propos recueillis par Cécile Blanchard
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