« Parfois, engager parents et élèves dans un projet apaise un quartier tout entier. »
Propos recueillis par Cécile Blanchard
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Parfois-engager-parents-et-eleves-dans-un-projet-apaise-un-quartier-tout-entier
À rebours des discours catastrophistes et de certaines unes de journaux, on peut bel et bien enseigner dans les « banlieues » et y connaître de grandes réussites, sans en rabattre sur ce qu’on exige des élèves. Le livre Territoires vivants de la République. Ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés, paru en cette rentrée, est rempli de témoignages de ces enseignants qui aiment enseigner en banlieue et s’autorisent enfin à le dire ! Entretien avec deux des auteurs.
Comment le projet de ce livre est-il né ?
C’est un projet très ancien, qui remonte presque aux années qui ont suivi la parution du livre Les territoires perdus de la République en 2002 et celle du rapport que j’ai piloté pour l’INRP en 2003 sur l’enseignement de la Shoah [1]. Les deux parlaient du même sujet mais pas de la même manière. Toute cette période a nourri un débat de société extrêmement dur. Je me disais qu’il fallait absolument avoir une réponse aux discours très catastrophistes et déclinistes selon lesquels « tout fout le camp » à l’école. En fait, on a été nombreux à se dire : « qui va répondre à ça, qui va faire une réponse aux polémistes que l’on entend partout en se servant du livre des Territoires perdus ? » Il fallait pourtant dire que des choses sont possibles, que l’école fait bel et bien son travail. Reparler de pédagogie, et de ses succès.
J’ai rencontré beaucoup de collègues enseignants dans mon parcours, j’ai commencé à parler de cela à deux ou trois d’entre eux et il m’est venu l’idée d’un livre, porté par le principe que les enfants ont droit à être regarder à égalité, avec la même dignité que les autres élèves. S’il y a bel et bien des problèmes, il ne faut pas évacuer leur dimension sociale. Progressivement, l’équipe s’est constituée, et au fur et à mesure, l’enthousiasme a été très grand à dire leur quotidien scolaire ; non pas contre les Territoires perdus, mais pour l’école, pour son travail quotidien et obstiné. La première réunion a eu lieu en 2017 avec toute l’équipe ou presque, personne ne se connaissait, mais il y avait toujours cet enthousiasme, qui nous a ensuite portés pendant toute l’écriture. Mes co-auteurs sont des gens qui ont les mêmes envies, les mêmes profondes bienveillance et exigence à la fois, et qui savent les réalités de l’école en banlieue. Ils n’ont aucun jugement négatif sur les enfants mais sont totalement lucides. Des hussards.
Il y a deux catégories d’auteurs dans ce livre : ceux qui témoignent de leurs pratiques de classe et ceux qui apportent leur éclairage de spécialistes. Mais au total, la plus grand place est faite à la parole des praticiens par rapport au discours plus théorique. Et aussi à la parole des élèves.
Je veux insister sur le fait que c’est vraiment un ouvrage collectif : aucune ligne du livre n’a été publiée sans être relue par l’ensemble des auteurs, on a fait le livre ensemble, ce n’est pas une simple collection d’articles ou de témoignages.
Cela semble très idyllique...
Oui, mais nous sommes tout sauf des « bisounours » ! Les gens qui sont publiés dans le livre se confrontent à la réalité ou se sont colletés avec pendant des années. Ils ont vu les évolutions, connaissent parfaitement le terrain, savent parfaitement la place prise par la religion dans la société et les enjeux de laïcité. Mais ils n’ont jamais abandonné leur posture professionnelle, ni par angélisme ni par renoncement, aucun n’est dans cette logique-là. Ils savent pourquoi ils travaillent avec ces élèves, ils aiment leurs élèves, au sens philosophique bien sûr.
C’est donc tout sauf de l’angélisme, mais nous sommes heureux de pouvoir dire que dans les classes de banlieues, cela peut très bien se passer. On a parfois l’impression qu’on ne peut même plus s’autoriser à dire qu’on y trouve des réussites et des pratiques pédagogiques de qualité, portées par des enseignants face à des élèves motivés par les savoirs. Qui va nier que c’est difficile et qu’il y a des problèmes ? Mais est-ce qu’on peut dire que parfois, engager parents et élèves dans un projet apaise un quartier tout entier ? Nous revendiquons le droit de dire qu’il y a des réussites pédagogiques.
Sans faire un choix parmi les contributions, y en a-t-il qui vous ont plus marqué ?
Nous avons fait le choix avec l’éditrice de commencer par ce qui est fondamental à l’école : comment on accueille et on regarde les élèves, la manière dont on envisage le rapport avec eux, le respect des parents, la façon dont on s’adresse à eux… C’est fondamental pour moi, il y a tout un lien de confiance à recréer dans ces quartiers, cela mériterait d’être retravaillé en profondeur. Comme partout, en fait. Il faut savoir écouter, respecter. La religion sert parfois de paravent pour d’autres difficultés, financières par exemple. Il y a ainsi des refus d’inscription à la cantine pour motifs religieux qui cachent le fait que les parents ne peuvent pas payer la cantine.
Après cette première partie sur l’accueil, on a traité tous les objets qui font débat, et on les a pris de biais. Enseigner la Shoah ne serait pas possible ? Eh bien si, il y a des endroits où ça se passe bien, c’est ça aussi la réalité de la banlieue !
On parle de l’école de la République, qui accueille tous les élèves, d’où qu’ils viennent, quels qu’ils soient. L’égalité est totale, absolue, dans la constitution. Mais avec une forte exigence derrière, et notamment de culture, de savoirs. L’objectif qui anime les auteurs, c’est de donner le meilleur pour ceux qui ont le moins.
Ce livre a aussi une dimension politique, au sens noble : revoir la vision univoque de la banlieue dans les discours publics, tout simplement parce que ça ne correspond pas à la réalité. L’équipe de France nous a beaucoup aidés cet été : tout le monde s’est rendu compte que ces gamins-là adoraient leur maillot. Et nos élèves sont la France de demain, qu’on le veuille ou non.
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