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D'Arnaud Aubry.
Ce professeur d’histoire-géo, dionysien depuis 25 ans, a participé à l’écriture de l’ouvrage collectif Territoires vivants de la République, loin des clichés sur l’école en banlieue.
« Je suis arrivé en 1994 au lycée Suger et j’attends toujours de voir où est la fameuse impossibilité d’enseigner ici ». Il n’y a rien qui énerve plus Laurent Clavier que le regard qu’on porte sur les habitants de banlieue. « On parle toujours à leur place ! »
Cela fera bientôt 25 ans que le prof d’histoire-géo travaille ou habite à Saint-Denis, alors il en a entendu des choses sur ses élèves, et leurs parents. Dans son appartement dionysien rempli de livres, Laurent Clavier s’emporte. Il se lève, jure, et parle avec les mains, aux ongles parfaitement manucurés, violet foncé. Il n’a pas tout à fait le look du prof de 55 ans lambda. Deux boucles d’oreille, le cheveu glabre, il persiste et signe : « Les familles sont démissionnaires ici ? Parce qu’elles sont noires, arabes ou pauvres, elles n’auraient pas le souci de leurs enfants ? » La réponse est dans la question. « C’est faux. Au contraire, elles fondent en l’école un capital symbolique et d’espoir bien plus important qu’ailleurs ! Et c’est d’ailleurs à cause de cette pression familiale que certains élèves résistent…»
L'éducation, c'est jamais facile
En août dernier est sorti l’ouvrage collectif Territoires vivants de la République, (La Découverte, 2018) auquel ont participé des sociologues mais aussi des professeurs comme Jean-Pierre Aurières, du lycée Paul-Eluard. Et Laurent Clavier donc. Le livre est une réponse aux Territoires perdus de la République de George Bensoussan (Editions mille et une nuits, 2002) qui avait à l’époque enflammé le débat sur l’état de l’école en banlieue.
Pour Laurent Clavier, le constat est simple : « Je peux cracher sur l’institution de l’école autant qu’on veut - et évidemment il y a des choses à dire – mais il n’empêche que c’est la seule qui soit restée dans ces territoires et qui ait même multiplié sa présence ». Quand il arrive à Suger en 1994, jeune prof de 27 ans, le lycée est implanté au sein d’une des pires cités d’Ile-de-France : le Franc-Moisin. 10 000 habitants, 3 entrées, et une activité commerciale… clandestine. Qui peut entraîner son lot de violence. « En 1996, 1997, il y avait des élèves du lycée qui mourraient », se remémore-t-il.
Depuis ? Il y a eu une grosse rénovation du quartier. Il a aussi vu le foulard apparaître… et il voit son port aujourd’hui décroître. « Je ne dis pas qu’il n’y a plus de voile, mais que ce n’est pas là l’essentiel. Les attentats de novembre 2015, de Paris, et de Saint-Denis - il ne faut l’oublier - ont été un pivot. Dans la cour de récréation, je revois les 1000 élèves, les 150 profs, rassembler pour la minute de silence », rappelle-t-il avec émotion. Et côté cours ? « Ici, c’est comme ailleurs : l’éducation, c’est jamais facile », tente-t-il dans un euphémisme, avant d’ajouter, avec drôlerie, qu’un ado c’est quand même « un risque psychosocial sur pattes ».
Problèmes structurels
Evidemment, le territoire a ses spécificités : « Ici le contact est plus direct, moins pollissé ». Et puis il y a les problèmes structurels. Au début de l’année scolaire, avec ses collègues du lycée Jacques-Feyder d’Epinay-sur-Seine – où il est prof depuis 2007 après une tentative de thèse au CNRS à Lyon et de courts séjours en lycée à La Courneuve et à Paul-Eluard – ils ont fait grève. Un lycée en travaux, des listes de classe aberrantes, des classes de Terminale à 36 élèves. Et 16 toilettes pour 1 650 personnes… Au bout de deux jours, le rectorat débloquait des fonds pour dédoubler une classe. Depuis, ça va mieux. Un peu. « On fait court dans des préfabriqués qui résonnent et qui sont mal isolés. Le matin, il fait la même température en classe qu’à l’extérieur… Donc s’il fait 1 degré dehors, je ne fais pas cours ». Celui qui ne voulait « surtout pas devenir prof » (il a mis 7 ans à avoir sa licence d’histoire), aura finalement trouvé dans ce métier une sacré source de combativité.
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