« Un musulman qui n’a pas été à l’école de la République comprend difficilement le droit au blasphème », estime Leïla Marouf, mère de deux élèves scolarisés en Seine-Saint-Denis.
Par Leïla Marouf, maman d'élèves scolarisés en Seine-Saint-Denis
Témoignage. « Etre une mère d’élève en 2020 en France, vivre en banlieue : quel est mon ressenti face à l’effroyable assassinat de Samuel Paty.
Malaise, effroi, douleur, incompréhension, nous avons tous été choqués face à cet acte. Un professeur qui défend la liberté d’expression a perdu la vie car il essayait d’éclairer les enfants, de leur inculquer la tolérance et une ouverture d’esprit. Comment peut-on en arriver là ? Comment des messages de parents choqués par le fait que l’on montre les caricatures de Charlie Hebdo à leurs enfants ont poussé un homme à tuer ? Si le discours à l’encontre des caricatures de Charlie Hebdo s’entend fréquemment dans la communauté musulmane, que cela pousse au meurtre dépasse l’entendement.
Un musulman qui n’a pas été à l’école de la République comprend difficilement le droit au blasphème. Pour lui, la religion est sacrée et on ne devrait pas avoir le droit de s’en moquer. Difficile de faire comprendre à un croyant que se moquer de sa religion ne veut pas dire qu’on se moque du croyant. Ce qui est inquiétant aujourd’hui c’est que l’école n’arrive pas toujours à apporter aux élèves des réponses aux questions qu’ils peuvent se poser et qu’elle échoue parfois à les éclairer sur les valeurs françaises.
« La double culture est une richesse »
Mais personne ne s’intéresse vraiment à ces enfants bercés dans une double culture et qui ont du mal à faire la part des choses. En tant que mère, j’apprends à mes enfants que nous sommes des Français avec des origines étrangères et que la double culture est une richesse. Notre religion fait partie de nous, mais Français et musulmans, est-ce incompatible, comme le signifient tant de discours ? A la lecture des réseaux sociaux, tant de haine antimusulmans crachée depuis des années après chaque attentat…
La laïcité, qui est l’acceptation de tous, est devenue pour certain l’argument pour rejeter ce qui constitue l’autre
La majorité des musulmans pratiquent leur religion en toute discrétion et ne demandent qu’à rester en paix avec tout le monde. Mais on va toujours pointer du doigt la personne déviante, extrémiste et violente. Résultat, la personne de confession musulmane va être prise dans cet amalgame et en devient victime. Il me semble que la laïcité, qui est l’acceptation de tous, est devenue pour certain l’argument pour rejeter ce qui constitue l’autre. Dans quelle mesure ce rejet ne pousse-t-il pas au communautarisme et au repli sur soi ?
L’école et le savoir apparaissent alors comme un rempart contre l’obscurantisme, l’intégrisme. Mais on peut juste constater que dans nos banlieues les moyens ne sont pas toujours là pour soutenir les professeurs qui essaient de pousser les élèves vers le haut. J’ai deux enfants et à chaque fois que je rencontre leurs professeurs je suis en admiration devant leur patience, leur passion pour leur métier, leur envie de faire progresser nos enfants. Mais beaucoup d’enfants sont issus de milieux familiaux complexes et pour eux on peut constater un manque de moyens pour les accompagner, les faire progresser. C’est souvent ce type d’élèves qui dévie du bon chemin, et c’est peut-être à l’école de savoir « diagnostiquer » et proposer un suivi particulier pour ces élèves.
Récemment des élèves de CM2 ont été arrêtés par la police pour apologie de terrorisme. Quand bien même leurs propos étaient violents et inappropriés, fallait-il faire intervenir des policiers armés et cagoulés à 7 heures du matin à leur domicile pour interpeller ces enfants de 10 ans ? Il y avait peut-être d’autres solutions. En tant que mère cela me questionne. L’école et l’Etat doivent accompagner la réflexion vers une maturité qui permette aux élèves de distinguer ce qui est bon ou mauvais dans le monde qui les entoure. Leur apprendre à penser par eux-mêmes et à ne pas être influencés par un entourage qui parfois peut leur être nuisible.
Le meurtre de Samuel Paty nous remplit de questions, mais il faudra se relever. Le débat doit dépasser le droit à la liberté d’expression : la lutte contre le terrorisme se fera avec nos enfants, et non contre eux. »
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