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Territoires vivants de la République. Ce que peut l’Ecole : réussir au-delà des préjugés.

Ouvrage collectif présenté par Benoit Falaize.

Edition La Découverte

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«Moi, prof des écoles, le 2 novembre, je n’aurai qu’une idée en tête : continuer»

Des enseignants auteurs de «Territoires vivants de la République», essai sur l'école au-delà des préjugés, rappellent le sens de leur mission malgré l'assassinat de Samuel Paty.

  • «Moi, prof des écoles, le 2 novembre, je n’aurai qu’une idée en tête : continuer»

Tribune. Moi, enseignant, le 2 novembre, je reprendrai le chemin de l’école. J’ouvrirai la porte de ma classe. J’appellerai un à un le nom de mes élèves. Je chercherai dans leurs yeux le lien interrompu par deux semaines de vacances, et avec chacun d’entre eux je renouerai le fil. Puis ce sera le moment de redire ensemble ce qui s’est passé vendredi. Avant même de parler, je leur donnerai la parole, j’écouterai ce qu’ils ont à me dire, et nous traverserons ensemble les récits, les silences, les questions. Je n’aurai pas réponse à tout. Moi, prof des écoles, le 2 novembre, je n’aurai qu’une idée en tête : continuer. Comme avant et pour toujours. Et comme avant, nous nous rassemblerons le matin. Comme avant, nous lirons les livres qui condamnent les préjugés. Comme avant, nous interrogerons le monde qui nous entoure. Comme avant, nous irons au musée et ouvrirons nos yeux sur d’autres tableaux. Comme avant, nous aiguiserons notre esprit critique et débattrons de la vie, de tous ces hommes et femmes qui parfois deviennent fous. Comme avant, nous brandirons le droit de chacun à être ce qu’il est, son droit à croire ou ne pas croire et, comme avant, notre seule limite au programme sera l’intolérance et la haine. Moi, prof d’histoire, le 2 novembre, je serai avec des adolescent·e·s. venu·e·s là pour apprendre, pour se retrouver, pour nous retrouver. Ils auront beaucoup plus peur que moi. Ils savent les regards qui pèsent sur eux et parlent à leur place. Qui les chargent de ce qu’ils n’ont pas commis. J’essaierai de ne pas les enfermer dans un meurtre abject. Nous travaillerons. Au détour d’un texte, nous trouverons une place pour discuter. Certain·e·s diront de grosses bêtises. A l’école, ça s’appelle apprendre. Ces ados sont notre peuple et construisent notre culture. Ils feront vivre le pays qui me voit déjà vieillir. Moi, prof dans le premier degré, pour eux, pour lui, je tâcherai de ne pas me laisser impressionner, de ne pas revoir à la baisse ce qui fait le cœur de notre travail. Je continuerai plus que jamais à proposer des espaces de dialogue entre nous, enseignants, pour que nous puissions nous dire, nous raconter, nous questionner aussi, professionnellement et humainement. Nous continuerons de construire avec nos élèves les pluriels, d’y puiser nos forces, et tenterons de lever les amalgames. Moi, prof d’histoire, le 2 novembre, dans ces territoires décriés, je regarderai les enfants en me disant qu’il pèse dorénavant sur leurs épaules, encore plus qu’avant, le poids des regards et des jugements. J’ai peur pour eux, qui n’en ont pas toujours conscience, que le lien avec leur République se distende. Gardons-les près de nous car ils sont le souffle de notre école. Moi, chef d’établissement, le 2 novembre, je viendrai plus tôt. Mes collègues adjoints seront là eux aussi, et dès 7h15, nous ouvrirons en grand les deux portes d’accès. Accueillir les collègues, les élèves, échanger les premiers regards, recevoir les premiers mots, incarner l’institution, soutenir et faire lien. Je m’y prépare déjà. Je ne sais quelle forme cela prendra, mais il nous faudra collectivement trouver le moyen d’absorber cette vague : l’émotion, la tristesse, l’indignation, la colère. Permettre à la peur de dire son nom. Poser une première analyse, avec les outils de l’école, les mots de la raison, avec précaution, avec humilité, avec justesse, autant que possible, pour mettre à distance de soi, ne pas se perdre, ne pas se laisser vaincre. Moi, prof d’histoire, le 2 novembre, je continuerai à lire avec mes élèves de terminale la Lettre ouverte au monde musulman, écrite par Abdennour Bidar en janvier 2015 au lendemain des attentats contre Charlie. Comme toujours, je leur demanderai ce qui, dans ce texte, fait écho à leurs convictions profondes. Comme toujours, aussi, ce qui dans ce texte les choque. Parce qu’ils ont le droit d’être choqués. Moi, prof de musique, le 2 novembre, je retournerai en classe, accueillir mes 457 élèves d’éducation prioritaire. Sans les presser, ni les contraindre, je parlerai avec ceux et celles qui le souhaitent de ce qui s’est passé vendredi. Je les laisserai exprimer leur crainte, leur doute, leurs interrogations, leur révolte. Puis, comme nous l’avons toujours fait, nous chanterons ensemble un gospel, puis deux. Nous chanterons un Work Song. Nous chanterons le Chant des partisans. Ensemble, nous chanterons le Chant des marais. Ensemble, nous reprendrons le fil de notre cours. Moi, prof d’histoire, le 2 novembre, je n’aurai pas cours, mais je viendrai quand même au lycée. Pas pour faire de grands discours : je n’ai pas de mots. Pas pour faire des promesses cousues de «plus jamais ça» et de «nous n’oublierons pas». Le 2 novembre, j’apporterai ce dessin de Zep que j’ai déjà projeté le jour de la prérentrée pour dire aux élèves ma foi en l’école, mon bonheur d’enseigner, ma confiance en eux. Je leur lirai des textes de Voltaire, de Zola, d’Eluard ou de Camus. Je les écouterai. Et le 3 novembre, nous travaillerons. C’est ce que nous faisons de mieux ensemble. C’est ainsi que la raison et le sens reviennent. Nous travaillons au quotidien contre toute forme d’obscurantisme et de haine, contre la violence et les amalgames. Notre immense tristesse et notre colère après l’assassinat de Samuel Paty n’éteignent pas notre détermination. Nous, le 2 novembre, nous serons devant et avec nos élèves. Pas lui.

Signataires : Fabien Pontagnier, Amaury Pierre, Laaldja Mahamdi, Elsa Bouteville, Anne Angles, Caroline Latournerie (Région parisienne), Cécile Berterreix (Pyrénées-Atlantiques), Florent Kieffer (Grand Est), Jean-Jacques Fito (Franche-Comté), auteur·e·s de Territoires vivants de la République, La Découverte, 2018.

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