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Territoires vivants de la République. Ce que peut l’Ecole : réussir au-delà des préjugés.

Ouvrage collectif présenté par Benoit Falaize.

Edition La Découverte

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Dix ans d’improvisation théâtrale au collège La Fayette de Rochefort

Syvie Laulan, académie de Poitiers, avec Stéphane Guillet, Le Grand Rochefort Impro Club


L’École des lettres poursuit la vibrante aventure des « Territoires vivants de la République ».

Ces témoignages, réunis par Benoit Falaize, historien et spécialiste des questions éducatives, présentent des expériences pédagogiques qui montrent que, jusque dans ses territoires prétendument perdus, l’école peut rester fidèle à l’idéal républicain d’émancipation par la connaissance.


Professeur de lettres modernes pendant vingt-trois ans au collège La Fayette de Rochefort – classé RRS (Réseau de réussite scolaire), puis « Politique de la ville », et accueillant une SEGPA 120 (Section d’enseignement général et professionnel adapté) –, en quartier d’éducation prioritaire, j’ai eu à m’occuper d’une population défavorisée pour laquelle l’oral, l’écrit, l’expression d’une pensée personnelle et les repères culturels étaient globalement pauvres.

Bientôt dix ans que le décorum si particulier du match d’improvisation théâtrale s’est installé dans la salle polyvalente du collège, avec sa patinoire, ses maillots de hockey, son arbitre et ses cartons de vote… Une décennie au cours de laquelle j’ai pu constater l’intérêt que revêt cette pratique pour les élèves.


L’improvisation théâtrale à la rescousse des collégiens

La paupérisation de certaines familles du secteur n’a cessé de creuser l’écart entre les élèves issus de catégories socio-professionnelles favorisées (bons en lecture, bons en écriture), et les autres, issus des cités comme de la campagne, qui sont dans l’incapacité de parler, de lire et d’écrire correctement. Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir : dégradation des compétences d’écriture et de lecture, passivité, absentéisme, incivilités, insultes, harcèlement…

L’ambiance générale du collège se détériorait, avec, pour certains élèves, la perte du sens même de l’école. Cependant, depuis plusieurs années, le collège a su mettre en place de nombreux ateliers offerts aux élèves sur la pause méridienne. C’est dans ce contexte que l’improvisation théâtrale s’est installée en 2010 dans l’établissement. Grâce au programme national « Trophée d’impro culture & diversité » (programme de pratique artistique autour du match d’improvisation théâtrale destiné aux élèves scolarisés dans des collèges relevant de l’éducation prioritaire), mis en œuvre par la Fondation Culture & Diversité, les comédiens professionnels de l’association « Le Grand Rochefort Impro Club » organisent les ateliers et les rencontres inter-collèges.


Créée dans la dynamique du «Trophée d’impro culture & diversité », l’association « Le Grand Rochefort Impro Club » a pour but de développer la pratique et la diffusion de l’improvisation théâtrale dans l’agglomération de Rochefort auprès de tous les types de public, en s’appuyant sur l’expérience de trois comédiens professionnels spécialisés dans l’improvisation.

Chaque année, à l’issue des rencontres locales, une équipe de six représentants du territoire rochefortais « monte à Paris » pour la finale nationale qui se déroule dans un grand théâtre de la capitale : Espace Cardin, théâtre de la Madeleine, Comédia…


Un savoir-faire qui rejoint les compétences exigibles au collège

Dans le collège, au moins trois ou quatre élèves des différentes classes dont j’ai la charge participent à ce programme. Je les découvre sous un nouveau jour en composant deux équipes mixtes de tous âges : ensemble, ils prennent du plaisir à inventer en public des récits, en respectant des règles communes. Ces règles, qui empruntent aux codes du sport, permettent aux « joueurs » de mieux appréhender celles de la vie en société. Le décorum sportif peut aussi séduire des élèves a priori moins sensibles à des activités culturelles classiques.

C’est à l’occasion d’une activité de lecture en classe qu’ils m’ont parlé des thèmes du match d’improvisation. En les questionnant sur les règles du jeu, j’ai pris conscience des passerelles que l’on pouvait établir entre cette pratique théâtrale et les compétences exigibles en français. La nécessité de s’adapter et d’innover a toujours été au cœur de ma pédagogie. J’ai donc rencontré les animateurs puis les responsables du projet, et constaté que les savoir-faire enseignés dans la pratique de cette activité correspondaient parfaitement aux compétences exigibles au collège, et notamment à celles fixées dans le cadre du socle commun : l’écoute active, d’une part ; la capacité d’invention, d’autre part. Plus encore, la pratique de l’improvisation théâtrale apprend à travailler en équipe, à respecter des règles communes et à interpréter un discours.


Une activité qui change la dynamique de la classe

Lors des représentations, la prise de risque des jeunes improvisateurs force le respect et la bienveillance de leurs camarades spectateurs, ce qui modifie les relations qu’ils entretiennent entre eux : tel élève jugé trop gros, ou trop petit – bref, perçu comme « différent » – devient subitement le maître du jeu face au « caïd » redouté de tous – et cela fait du bien à voir.

Les spectateurs aussi apprennent de l’exercice : ce type de théâtre les sollicite directement, ils y sont actifs, sont invités à développer leur sens critique. Devoir choisir entre deux interprétations les amène à comparer celles-ci et à les juger en suivant des critères objectifs, sans parti pris. D’autre part, acteurs et spectateurs peuvent désormais s’appuyer sur leur découverte de nouvelles techniques littéraires pour comprendre les textes : ils s’approprient les registres, les genres, les « à la manière de », apprennent à structurer un récit, à imaginer des péripéties, à décoder l’implicite grâce à la gestuelle, la mimique ou le débit.

Tout finissant par se rejoindre, par faire sens, ils trouvent un intérêt nouveau à la discipline et partagent leur expérience avec leurs camarades qui ne pratiquent pas l’improvisation et qui sont leur public. Car être capable d’entrer sur la patinoire après vingt secondes pour donner la réplique à l’autre, ce partenaire parfois inconnu, ou presque, aller sur son terrain et dire : « D’accord, je joue avec toi », ce n’est pas une mince affaire pour des adolescents. Les petits improvisateurs prennent alors une autre dimension et transmettent leur énergie à leurs camarades.


« Madame, c’était trop bien ! »

Lors de l’édition 2013 du Trophée, les collégiens de Rochefort ont remporté la finale nationale devant ceux de Bordeaux, Lille et Trappes. Yamina Benguigui et Jamel Debbouze leur ont remis le prix. Les élèves sont revenus gonflés à bloc, forts de leurs succès. À leur retour en classe, la réaction de l’une de mes élèves de cinquième, d’ordinaire plutôt effacée, m’a surprise :

« Madame, c’était trop bien ! En plus, on a gagné, mais en vrai, on s’en fiche parce que c’était super avec ceux des autres villes ! »

Un autre m’a raconté que Jamel l’avait félicité pour l’une de ses improvisations dans le match contre l’équipe de Lille. J’ai profité de cet élan pour aborder l’importance de l’oralité avec la classe.

Aujourd’hui, l’improvisation théâtrale est une pratique installée, reconnue, qui implique toute la communauté scolaire ; elle est ouverte sur les autres établissements du secteur ; elle crée un sentiment d’appartenance à une équipe, des ponts entre des élèves qui ne se seraient pas fréquentés auparavant.

Le fait qu’une activité culturelle ludique, mais très exigeante, remporte ce succès auprès de jeunes issus de quartiers défavorisés me semble pour le moins encourageant. Je me réjouis que l’établissement dans lequel je suis désormais en poste, le collège Joliot-Curie de Tonnay-Charente, participe également à ce projet : les cinq établissements de la Communauté d’agglomération Rochefort Océan et deux collèges de celle de La Rochelle sont engagés dans un championnat local d’improvisation théâtrale qui se déroule en marge du trophée national. Je pourrai ainsi poursuivre la réflexion déjà engagée sur la pratique de l’improvisation et les bénéfices (critères, règles, compétences…) que les élèves peuvent en tirer en français.

À l’heure où, depuis les concours d’éloquence organisés dès le collège jusqu’aux épreuves du baccalauréat, l’oral revient en force dans les programmes – et à juste titre –, cette pratique peut se révéler plus que fructueuse.

Syvie Laulan, académie de Poitiers, avec Stéphane Guillet, Le Grand Rochefort Impro Club

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