Par Cédric Gance,
Consultez l'article en ligne sur le site de l'École des Lettres : https://actualites.ecoledeslettres.fr/education/territoires-vivants-de-la-republique-les-parents-partenaires-de-lecole/
« La relation aux parents d’élèves doit être une évidence »
Certaines familles en difficulté ont, pour diverses raisons, le sentiment qu’il n’y a pas de place pour elles dans l’école. Pourtant, bon nombre de parents sont profondément intéressés par le travail de leurs enfants, même s’ils ont le sentiment que le « scolaire » n’est pas leur monde. S’ils ont quitté son univers depuis longtemps, ils n’en sont pas moins des partenaires essentiels dans le parcours de l’élève.
Maître de CM2, directeur de l’école élémentaire publique Célestin-Freinet à Creil, dans l’Oise, et depuis vingt ans en RÉP, je n’ai jamais mis de barrières entre eux et moi. Bien au contraire, il me semble nécessaire d’ouvrir l’école, de la rendre accessible à tous les parents, et pas seulement à ceux que leur parcours scolaire rend confiants. La relation aux parents d’élèves doit être une évidence, et il convient de mettre en valeur leur implication.
Le vécu familial partagé entre un père, une mère et leur(s) enfant(s) peut contribuer à donner du sens à la scolarité de l’élève. Son introduction au sein de l’institution offre à l’enfant un cadre rassurant qui le sécurise et, ce faisant, rend sa scolarité plus heureuse.
Le projet « Mon histoire à travers l’école »
Au cours de l’année scolaire 2018-2019, le projet Mon histoire à travers l’école est venu matérialiser cette ouverture de l’école à des parents pour qui elle n’est pas un milieu familier. Ce projet a été filmé par Isabelle Bonnet Murray pour la réalisation du documentaire Réenchantons l’école qui sera diffusé le 14 septembre prochain sur la chaîne France 3 Hauts-de-France.
L’objectif était d’enquêter, avec les élèves, pour comprendre la manière dont leurs parents avaient vécu leur propre scolarité. En adoptant une démarche scientifique soutenue et validée par la sociologue Linda Ntola, ils ont pu réfléchir à la définition du mot « enquête » et, dans leur recherche de témoignages, concevoir un questionnaire destiné… à leurs parents. En effet, quels témoins de l’école du passé auraient pu être plus proches d’eux ?
L’élaboration du questionnaire s’est imposée logiquement pour le recueil de données. Il a été perfectionné avec l’aide de notre mentor sociologue qui a permis d’identifier les étapes et le vocabulaire de la démarche scientifique : état de l’art, glossaire, analyse de données, etc.
Une fois l’enquête terminée, les parents ont été invités à témoigner oralement en classe. Ceux qui le souhaitaient ont également pu participer à la représentation théâtrale de fin d’année, Mon histoire à travers l’école. Car le projet avait aussi une visée artistique, un spectacle sur l’histoire des individus à travers l’école, en partenariat avec « La Grange à Musique », salle de diffusion de spectacles vivants, à Creil. Et certains parents ont, en effet, accepté de vaincre leur réserve ou leur timidité pour accompagner leur enfant.
Une démarche effectuée par amour…
Les parents, que l’on pense parfois éloignés du monde scolaire, ont tous répondu, sans exception, aux questionnaires.
Une grande partie d’entre eux, intimidés par le retour à l’école, sont malgré tout venus en classe pour échanger sur leur vécu scolaire. Certains ont même apporté des objets de leur enfance : un cahier, un manuel, une toupie, des traces du passé, telles ces dizaines de photographies qui ont illuminé la classe par leur beauté et leur intensité. À travers ce projet, chaque parent a raconté son histoire à sa façon, à travers ses mots, ses images, des objets, des regards ou des émotions muettes.
Cette démarche, les parents l’ont effectuée par amour, allant parfois jusqu’à s’aventurer sur scène, la boule au ventre, pour évoquer ce qu’ils pensaient avoir transmis à leur enfant à travers des valeurs et des liens transgénérationnels parfois très liés à l’école, parfois plus intimes.
Interrogés sur ce qui les poussait à rejoindre le projet, certains ont répondu, comme le père de Myriam :
« Ma fille m’a parlé du projet de classe. Alors, je voulais lui faire plaisir et venir à l’école. Il fallait être avec le maître, derrière ce projet et avec tout le groupe. » « En plus, souligne la mère d’Abdelwakil, très présente à l’école pendant ce travail, on ne voit jamais nos enfants dans le cadre d’une classe. »
Souvenirs d’école
Les deux tiers des parents sont venus à l’école. Le père de Myriam est resté tout au long du projet, me remerciant régulièrement, éberlué par les capacités d’initiative et de communication développées par sa fille.
Ce fut le cas aussi pour Noé, arrivé à l’école un mois après la rentrée. Les premiers temps, Noé ne répondait que par des hochements de tête. La confiance qu’on lui accordait l’a néanmoins incité à s’impliquer dans le projet. Cet angle d’apprentissage a permis de reconstituer le passé de sa mère, présente toute l’année et jusqu’à la représentation finale. Ensemble, ils ont pu mettre des mots sur une histoire douloureuse et redonner en partie le sourire à Noé. À quelques différences matérielles et pédagogiques près, vue à travers le prisme de l’école, l’histoire des parents pouvait, par moments, ressembler à celle de l’enfant, si l’école qu’ils avaient fréquentée jadis se trouvait dans notre région.
Dans d’autres cas, cette histoire interpellait, surprenait, stupéfiait l’enfant ; par exemple, Samavia apprenant qu’au Pakistan son père n’avait connu qu’une seule sortie scolaire, dans les montagnes, et découvert la neige à cette occasion. D’autres ont raconté, les yeux brillants, des expériences ineffaçables vécues sur les bancs d’une école de Rabat ou de Bamako. Elles n’étaient pas qu’un souvenir anecdotique, mais un pan de leur histoire et de celle de leur famille. En les transmettant ainsi à leurs enfants, les parents de ces élèves ont écrit une nouvelle page de cette histoire.
« Dis, que m’as-tu transmis ? »
Dans le tableau final de Mon histoire à travers l’école, parents et enfants sont sur scène, tous ensemble. Et les enfants posent cette simple question : « Dis, maman (ou papa), que m’as-tu transmis ? », qui donne la mesure sensible de ce qui se joue dans l’idée de transmission et de confiance dans l’école.
Parfois dans un français hésitant, mais toujours avec une force et une dignité entière, les parents s’expriment avec émotion :
La maman d’Adama :
« Je t’ai transmis, mon fils, l’envie d’aller à l’école, car, à l’école, on peut travailler tout en s’amusant. »
Le papa de Samavia :
« Je t’ai transmis, ma fille, qu’il faut étudier, que c’est une chance d’aller à l’école, car tous les enfants n’y vont pas. Et je t’ai transmis aussi d’être polie avec tes camarades et tes enseignants. Et puis le plaisir d’apprendre et d’être utile dans la société. »
Le papa de Myriam :
« Je t’ai transmis, ma fille, le plaisir d’apprendre, le respect. »
La maman de Bilel :
« Je t’ai transmis, mon fils, l’importance du travail et du respect, qui sont la base de la construction de ton avenir. À travers mon histoire, il me semble important de te rappeler qu’on peut s’exprimer, donner son opinion, et cela sans crainte, chose que je n’ai pas pu faire à mon époque par manque de confiance en moi. »
La chance
Ce terme résume ma carrière en tant qu’enseignant et directeur dans un réseau d’éducation prioritaire, alors même que d’autres mots sont communément employés pour dire le « désagrément » de travailler dans des quartiers dits « sensibles ». Plutôt que de s’arrêter aux difficultés sociales, aux communautarismes, pourquoi ne pas s’appuyer sur le potentiel de l’enfant et, sans être naïf, se montrer optimiste ? Cet optimisme trouve sa raison d’être dans la chance : celle de côtoyer, chaque jour, une équipe à la solidarité jamais démentie, des parents d’élèves aux cultures aussi multiples qu’enrichissantes, celle de découvrir l’éblouissante générosité de beaucoup, et le désir d’apprendre des élèves.
Au final, il n’est pas surprenant que cette tâche éducative soit une chance dans la mesure où, au fil des années, elle permet une profonde ouverture à l’humain. Or, plus on échange, plus on se connaît, et plus on se comprend dans l’école de la République.
Cédric Gance, académie d’Amiens, Les Savanturiers-École de la Recherche
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