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Territoires vivants de la République. Ce que peut l’Ecole : réussir au-delà des préjugés.

Ouvrage collectif présenté par Benoit Falaize.

Edition La Découverte

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ToutEduc - Benoit Falaize

"Il ne faut jamais avoir peur des élèves" dans "les territoires vivants de la République" (B. Falaize)



"Ici, il se passe des choses. Ici, les élèves remettent constamment tout en question, y compris ma pratique d’enseignant. Et l’énergie qu’ils dégagent, j’en ai besoin. Ici, les élèves sont vivants. C’est pourquoi il faut aller dans ces territoires." L'auteur de ces lignes est professeur d'éducation musicale dans un collège de REP+ en Seine-Saint-Denis et il évoque son engagement heureux, ce qui ne veut pas dire facile, dans les "Territoires vivants de la République", un ouvrage collectif réalisé par Benoît Falaize. Le titre fait évidemment référence à un autre ouvrage collectif, paru en 2002, Les Territoires perdus de la République, "dont le titre allait rapidement être repris dans le débat public et s’imposer comme une expression allant de soi au sujet des banlieues populaires", est-il écrit dans la présentation de ces témoignages sur "ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés".

Le propos est évidemment militant, il prend le contrepied du discours public dominant, "décliniste et de déploration sur l’école", laquelle serait mise en échec par de jeunes élèves "antisémites, sexistes, hors des valeurs républicaines". "Les auteurs réunis ici souhaitent, avec énergie, que l’apaisement se substitue à la polémique, le dialogue à l’invective, la compréhension à la dénonciation" et ils veulent "offrir un regard rééquilibré sur les banlieues, sur la jeunesse française et sur le travail des enseignants", évitant les propos catastrophistes aussi bien qu'iréniques : le monde dans lequel vivent leurs élèves "est dur, difficile, injuste, violent parfois", et cela rejaillit sur certains élèves, sur Ziyane, Bader, Sidi, des "affreux", "à vif, explosifs", des "durs", qui n'ont que 6 ans et qui entrent au CP. Mais à la fin de l'année, "la classe gagne un concours. Sidi est sur le podium, premier à récupérer le trophée. C’est beau à voir, une racaille félicitée. Parce que la racaille n’est plus. Le prix est un voyage. La classe part en Bretagne (...), et chaque soir, lui, ce soi-disant caïd, chaque soir, il demande un bisou, là, dans son lit, agrippé à son doudou."

Le premier message que délivrent les auteurs est "qu’il ne faut jamais avoir peur des élèves", mais qu'il manque parfois aux enseignants les outils pour comprendre. "C’est la dignité qui, parfois, peut pousser quelques familles à invoquer des pratiques religieuses pour dissimuler des problèmes financiers. 'Mon fils ne peut plus manger à la cantine, c’est pas hallal', 'ma fille ne peut pas partir en classe de découverte, on est musulmans', sont des arguments que j’ai pu entendre", rapporte un autre de ces enseignants.

Les professeurs et les élèves rament dans le même sens

Il faut compter avec les maladresses, inévitables : Cinq enseignants travaillent sur un projet commun. Ca commence bien, puis ça dérape, "les professeurs apostrophent les élèves pour leur dire (...) que tant d’énergie gâchée par tant de mauvaise volonté, c’est révoltant (...). Et qu’à vouloir toujours rester dans leur 'caca de la ZUP', ils y resteraient." C'est le mot de trop, "plusieurs élèves réagissent durement, se lèvent, et quittent la pièce. Quelque chose, dans la mécanique du projet pédagogique, vient de se casser (...). Un élève, plus calme que les autres, prend la parole pour parler simplement de la 'barre HLM' où il habite, et dont il est fier, parce que son père aussi y a habité. 'Peut-être que pour vous c’est du caca, mais pour nous c’est notre vie.' Après un silence, un professeur répond qu’il n’est pas venu dans ce collège par hasard. Que tous les professeurs qui sont au collège y sont et y restent parce qu’ils l’ont choisi. Qu’il en est fier, lui aussi. Et que la ZUP, à force d’y travailler, il la 'porte aussi dans son ventre'. (...) Car il arrive souvent, dans un collège de ZEP – et plus souvent qu’on ne le croit –, que les professeurs et les élèves rament dans le même sens. Le plus dur est peut-être de s’en rendre compte", commente l'un d'eux.

Une autre enseignante parle de ses parents analphabètes, du choc qu'elle a ressenti au lycée à la lecture de L’Ingénu de Voltaire : "À partir de ce moment-là, je n’ai pas arrêté de dévorer les livres. Une vingtaine d’années plus tard, j’essaie de faire découvrir la même chose à mes élèves (...). Pour moi, enseigner, c’est partager mes passions avec mes élèves."

C'est aussi évoquer "des questions aussi sensibles que l’amour, la sexualité, la violence et la mort" dont "on pourrait se demander si c’est bien le rôle de l’école" de les prendre en charge. "Pourtant, le corps, dissimulé sous des joggings informes ou exhibé avec slims et décolletés moulants, moqué par des mots sales et des rires gras, n’est pas absent de nos établissements scolaires. Les grossesses précoces subies et les consultations d’urgence à l’infirmerie attestent la limite de l’éducation sexuelle de nos adolescents. La mort, aussi escamotée soit- elle, fait régulièrement irruption dans les familles de nos élèves ou dans le périmètre du lycée."

Même réflexion au sujet des religions, qui ne doivent pas constituer un tabou. "Au contraire, parler ouvertement des religions et des croyances dès l’école élémentaire permet de sensibiliser les élèves aux différentes cultures qui les entourent." Mais ce n'est pas toujours simple : "Nous voulons en faire des citoyens qui se posent des questions et qui réfléchissent en utilisant une démarche d’investigation pour trouver des réponses. À nous de savoir réagir de façon instantanée pour leur montrer que nous ne sommes pas déstabilisés, mais que si nous n’avons pas une réponse directe, nous pouvons démarrer une démarche d’investigation en bonne et due forme avec eux." Et un autre : "Les conceptions et les mentalités des élèves changent vite, nous devons faire évoluer notre pédagogie à la même vitesse pour nous y adapter et savoir nous remettre en cause sans abandonner nos valeurs et nos principes."

Même si le propos est pédagogique, il est éminemment politique, nous rappelle en conclusion Eric Favey, président de la Ligue de l'enseignement. "Notre époque appelle plus que jamais une école qui est déjà celle de toutes et tous avant d’être celle de la détection et de la sélection des meilleurs et qui s’en donne les moyens (...). C’est ce que font, sans faire la Une des magazines, les enseignants, les personnels et leurs partenaires dans les récits qu’ils nous livrent dans cet ouvrage. Elles et ils témoignent que les principes et valeurs de la citoyenneté démocratique doivent descendre des frontons des institutions de la République pour s’incarner dans les pratiques de l’école (...) Il n’y a que les esprits paresseux, et que finalement cela arrange, pour nous faire croire à des territoires dont les habitants refuseraient de faire République. Il est en revanche avéré que la République abandonne une partie de la population ou la traite en clientèle et par affinités sélectives." Savoir nous remettre en cause sans abandonner nos valeurs et nos principes.

©2012-18 ToutEduc

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